I'd trade all my tomorrows for just one yesterday ◊ Alexis

Tu tiras une nouvelle fois sur la clope que tu avais entre tes doigts. Cette bouffée de nicotine avait le don de te détendre instantanément. Il était 5heure du matin et tu n’avais toujours pas sommeil. Tu étais assise sur le rebord de ta fenêtre, celle-ci entre-ouverte pour ne pas laisser d’odeur dans ton appartement. C’était presque devenu une routine. Tu regardais toujours les premières lueurs du jour se lever. Aujourd’hui tu ne faisais pas exception à la règle. Tu savais pertinemment que les bras de Morphée ne t’accueilleraient seulement d’ici une heure. Tu laissais jouer ton  tourne disque qui grinçait un vieil air rock. Tu étais paisible, tu revenais d’une nuit passé à danser dans cette boîte de nuit que tu connaissais bien. Tu y avais été seule. Tu ne ressentais pas le besoin d’être accompagné quand ton seul désir c’était de tout oublier. Pour cela, tu en avais des choses à te sortir de l’esprit. Particulièrement aujourd’hui. Cela faisait maintenant cinq ans.

Du plus loin que tu te rappelles, ta maison a toujours été un havre de paix. Tes parents se sont mariés pour les bonnes raisons et ont eu des enfants qu’ils souhaitaient plus que ardemment. Comme toutes familles, vous avez vos hauts et vos bas, mais rien qui n’est venu porter une ombre au tableau de la petite famille Hodgkin pendant ton enfance. Tu es la cadette de cette famille de trois enfants. Tu es et tu resteras le bébé à leurs yeux. Tes parents s’amusent à raconter encore et encore leur rencontre comme si tu ne connaissais pas cette histoire sur le bout de tes doigts. Ils se sont rencontrés alors que les deux étaient dans le même ascenseur et que celui-ci tomba en panne. Ta mère aime imiter ton père et sa claustrophobie, alors que lui, imite ta mère et son emportement contre la réceptionniste de du bâtiment. Ce n’était pas un coup de foudre, c’était le fruit d’un hasard. Ils ressortirent de cette aventure avec un numéro en poche et le grand amour à porter de la main. Ils se sont mariés sur un coup de tête avec seulement le cousin de ton paternel comme témoin. Rien ne pouvait les arrêter. C’était eux contre le monde et ce l’est encore. Ils t’apprendront que le bonheur n’a pas de prix, que tu pouvais être qui tu voulais et que ce que les autres peuvent penser de toi n’a pas d’importance. Ils t’élèveront dans cette bulle d’amour et de créativité.

L’aîné, c’est ton frère. Il est le plus sérieux, le plus ordonné et le plus ambitieux de la maison. Il a toujours été protecteur avec toi. À l’adolescence, cela te dérangeait, aujourd’hui, tu comprends. C’est un médecin, ton frangin. Enfant, il n’était pas aussi sérieux qu’il l’était aujourd’hui. Tu te souviens de sa rébellion d’adolescent alors que tu n’étais qu’une gamine et ce n’est pas du tout l’homme qu’il est devenu. Tu as toujours voulu l’impressionner, même si tu n’avais pas besoin de le faire. Vous êtes si différent que c’est difficile de comprendre que vous vous entendez bien. Vous avez la typique relation grand frère-petite sœur. Il n’a jamais bien compris ton départ de la famille et pourquoi tu ne reviens pas de l’Irlande. Celle du milieu, c’est ta sœur.  Elle, c’est une tout autre histoire. Aucun enfant n’est identique dans votre famille. Ta sœur, c’est la rebelle. Celle qui sort de la maison pendant la nuit, celle qui t’a initié à la cigarette, à l'alcool et à la drogue… C’est elle qui avait un idéalisme du monde. Alors qu’avec ton frère, tu as cinq années qui vous séparent, avec ta sœur vous n’en avez même pas deux. Enfant, vous étiez inséparable, toujours dans votre monde de contes de fées. Vous aviez votre propre langage, au grand désespoir de votre frère. À l’adolescence tu as voulu continuer à la suivre, mais elle s’est éloignée de votre cocon de bonheur. Elle sèchera les cours, se tiendra avec des gens beaucoup plus vieux. Toutefois, quand elle revenait vers toi, c’était comme avant. Elle te racontait ses histoires et tu les écoutais avec envie. C’était ta meilleure amie, en plus d’être ta sœur.

Il ne reste plus qu’un simple mégot entre tes doigts, tu le jettes sans remords par la fenêtre, que tu t’empresses de fermer. L’alcool te monte encore un peu à la tête. Tu te diriges vers ton tourne disque qui ne joue plus rien. Tu remets un autre vinyle et tu te laisses aller sur la musique qui emplie ton appartement. Tes voisins allaient chialer, et puis? Tu devais dépenser tes dernières énergies avant d’aller dormir. Tu devais oublier encore un peu.

« Lexy, je te promets que tout va bien! » « Alors, pourquoi tu portes constamment des lunettes de soleil, même à l’intérieur? » « C’est mon look, voilà! C’est tout. » Tu ne l’avais jamais cru. Tu pouvais voir sous sa tonne de maquillage les marques d’un coup de poing à son l’œil. Tu remarquais qu’elle revenait de plus en plus défoncé à la maison et qu’elle désertait constamment en pleine nuit. Elle avait ce nouveau copain à qui tu ne faisais pas confiance, mais dont elle était éperdument amoureuse. Il n’était pas quelqu’un de bien, mais dès que tu lui en faisais part, elle s’énervait. Elle avait 19 ans et pensait qu’elle n’avait plus rien à rendre à cette famille qui l’aimait tant. Il n’avait que ce faux grand amour qui ne comptait. Il la battait, tu pouvais y mettre ta main au feu. Tes parents ont essayés si souvent de la sortir de cette relation, mais elle n’a jamais voulu « elle l’aimait et il l’aimait ». Tu te souviens de ce jour aussi clairement que ton reflet dans un miroir. Les policiers avaient sonné à la porte. Tu étais derrière ta mère lorsqu’ils racontèrent toute l’histoire. Elle est morte dans des circonstances inimaginables. Ton cœur se déchira, s’écrasa, s’éteignit…  Tu vécus la scène au ralentit. Ta mère qui s’écroule au sol en hurlant. Ton père qui détruit tout dans votre petite maison. Ton frère qui apprendra la nouvelle au téléphone, étant dans une autre ville pour sa prépa’ de médecine. Et il y avait toi. Seule dans ce tourbillon. Toi qui ne dis rien, qui ne pleure pas. Tu es éteinte. Il n’y a rien d’autre que le noir dans ton esprit et dans ton cœur. Ça aurait été plus simple de réagir. Mais tu viens de perdre une partie de toi-même. Tu venais de perdre ta sœur, ta meilleure amie. Il ne restait d’elle que des souvenirs et une chambre vide. Le tableau de la petite famille Hodgkin venait de trouver son ombre. Il y avait encore de l’amour, mais il n’y avait plus de créativité, plus de bonheur, qu’une blessure ouverte en permanence. On te reprochera ton manque de réaction, ton mutisme. Tu n’étais plus chez toi. Tu le vivais trop mal, tu n’avais que 17 ans et tu n’avais plus de repères.

Deux ans plus tard, lorsque le verdict de culpabilité tomba sur l’ancien petit ami de ta défunte sœur, tu t’enfuies. Tu voulais un nouveau départ et retrouvé un peu d’elle dans une nouvelle vie. Tu quittes avec un sac-à-dos et ta voiture. Tu roules des jours, des semaines… Tu atterris à Portrush. Tu y restes et t’y installes. Tu te retrouves graduellement depuis deux ans. Tu es redevenu cette grande enfant naïve que tu étais. Tu ne vois plus la blessure, tu la ressens, mais tu n’y es plus exposé dans ta maison familial. Tu envoies des cartes postales à tes parents à tous les mois. Tu ne les oublies pas, tu les aimes toujours autant. Tu voulais seulement revivre.

Il est 6heure du matin. Tu laisses la musique jouer mais tu te couches sur ton canapé. Tu avais les deux yeux grands ouverts et la seule chose qui t’effleure l’esprit, c’est de t’allumer une nouvelle clope...